Séraphine
Conte de Patricia Beudin (destiné idéalement à être « dit » et non « lu »)
Vous n’êtes peut-être pas comme moi dans le secret de ceux qui savent, mais…
Il était mille fois, il est une fois, il sera des millions de fois…
Séraphine !
Séraphine, angelotte, j’ai bien dit angelot-te bon teint, fraîche et rose, joues
pêches à croquer, boucles dorées à peine rebelles, épaules dodues, cuisses
rondouillardes, mollets potelés, blanches ailes duveteuses …
Eux, les angelots, eux, ils sautent, dansent, courent, volent, libres comme le
zéphyr, nus comme l’innocence, zizis au vent.
Elle, Séraphine, elle, seule fille parmi tous ces chérubins de haute lignée, se
doit de couvrir ses adorables fesses grassouillettes, son mignon ventre replet,
son tendre mystère vénusien d’un lange…immaculé, évidemment.
Ainsi en a décidé l’Archange Général Chef, bras droit du Tout-Puissant :
« La différence, ça fait désordre ! ».
Cela fait bientôt 4000 ans que Séraphine a débuté dans la carrière d’ange
gardienne.
Ses qualités, son savoir faire ne sont plus à démontrer :
Séraphine joue de la harpe et de la flûte de Pan à la perfection, connaît tous
les chants liturgiques et les saintes prières, accommode comme personne l’hostie
et l’eau bénite.
Elle a une patience d’ange…
Elle sait consoler, conseiller, inspirer, suggérer,
dissuader, éclairer, apaiser, réconforter, encourager, écouter tout simplement…
Séraphine est une angelotte presque comblée.
A son septième ciel pourtant manque un gros détail…
Elle n’est jamais choisie pour figurer sur les tableaux qui deviendront célèbres
pour les siècles des siècles Amen…
Pourtant elle sait si bien sourire aux anges…
Vous n’êtes peut-être pas comme moi dans le secret de ceux qui savent, mais…
Chaque jour que Dieu fait, à l’heure de l’Angélus, Il convoque ses troupes sur
le cumulo-nimbus le plus moutonneux du paysage céleste.
- « Gabriel Junior ! » …
« Présent ! »
- « Angelo ! » …
« Si ! »
- « Célestin ! » …
« Je suis là ! »
- « Armange ! Adriange ! Clémange ! » …
« Ici ! »…
« Ici ! »
…
« Ici ! »
- « Séraphine ? » …
« Oui, Monseigneur ? »
- « Allons, mes
enfants, contez-moi donc vos bonnes actions du jour, je vous ferai les complimanges ou les remontranges que vos comportements m’inspirent.
N’oubliez pas que les meilleurs d'entre vous seront récompensés, ils poseront pour les
artistes peintres les plus renommés, ils figureront dans les musées, les
châteaux, les cathédrales les plus visités de la planète…
Alors ? Je vous écoute ? »
- « Moi, Très Haut, j’ai séché les larmes de mon petit Paul, il était tombé dans
les ronces. »
- « Mmmmm … »
- « Moi, Votre Grandeur, j’ai préservé l’innocence et l’honneur de ma belle
Suzon, un godelureau avait presque réussi à la…à… heu … Enfin, vous me
comprenez, Seigneur,… »
- « Mmmmm … »
- « Moi, Tout Puissant, j’ai beaucoup prié et recueilli le dernier souffle de ma
vieille Ambroisine ce matin… »
- « Mmmmm … Bien, bien, très bien… Dévouement, perspicacité, compassion…
Gabriel Junior, Angelo et Célestin, je vous mets un huit à tous les trois. Demain vous pourrez vous rendre toi chez Fra Bartoloméo, toi chez Titien et toi chez le Tintoret, ils ont besoin de modèles… »
- « Séraphine ? »
- « Moi, votre Sainteté ? Oh, aujourd’hui, j’ai simplement freiné le cheval de
Diego qui s’était emballé, j’ai dévié le vol d’un essaim de guêpes qui piquait
droit sur lui pendant son goûter tartines à la confiture de groseilles, j’ai ôté l’amanite
phalloïde de son omelette aux champignons, et si vous le permettez, Seigneur, je
ne voudrais pas être trop longue car je dois veiller sur la lueur de ses
chandelles le soir. Vous savez ce que c’est, au moindre coup de vent… Diego aime
tellement dessiner, il ne s’arrête que tard le soir. Je l’aime beaucoup cet
enfant, Seigneur, est-ce un péché ? »
- « Bien, bien, Séraphine, mais c’est
Moi qui pose les questions.
Voyons. En efficacité, je te mets un 10.
En pondération, modestie, il te reste quelques
efforts à accomplir. »
- « Est-ce que je pourrai poser, s’il vous plaît, Seigneur, hein, s’il vous
plaît ? »
Un ange passe…
- « Non, Séraphine.
Et fais donc attention, ton lange tombe, cache donc ce
nombril que je ne saurais voir… »
Ainsi passent les semaines, …
Séraphine s’affaire. Diego grandit.
Et chaque jour elle demande :
« Est-ce que je pourrai poser, s’il vous plaît,
Seigneur ? »
Et la réponse tombe :
« NON, Séraphine ! » Tu manques encore de retenue.
Ainsi passent les mois…
Séraphine se dévoue. Diego grandit beaucoup.
Et chaque jour elle demande :
« Est-ce que je pourrai poser, s’il vous plaît,
Seigneur ? »
Et la réponse tombe :
« NON, Séraphine
! Tu manques encore de discrétion. »
Ainsi passent les années…
Séraphine... Diego...
Et chaque jour… :
« Est-ce que…, s’il vous plaît, Seigneur ? »
Et la réponse… :
« NON, Séraphine ! Tu manques encore d’effacement.
»
- « Mais, Seigneur ? ? ? ! ! ! »
« Enfin, Séraphine,
apprends donc la
renonciation ! »
Vous n’êtes peut-être pas comme moi dans le secret de ceux qui savent, mais…